"Et c'est d'abord, contre nos corps accroupis, un sursaut pesant de la terre. Nous sommes debout lorsque les fumées monstrueuses et blanches, tachées de voltigeantes choses noires, se gonflent au bord du plateau, derrière la ligne proche de l'horizon. Elles ne jaillissent pas ; elles développent des volutes énormes, qui sortent les unes des autres, encore, encore, jusqu'à former ces quatre monstres de fumée, immobiles et criblés de sombres projectiles. Maintenant les mines tonnent, lourdement aussi, monstrueusement, à la ressemblance des fumées. Le bruit reflue, roule sur nos épaules ; et tout de suite, de l'autre côté, du même côté, de tous les vals, de toute la plaine et du ciel même, les canons lâchent les vagues déferlantes du vacarme."
"Plus de voix, plus de pas ; rien que la folie des canons. Ceux de Montgirmont(1) cognent à la volée, se rapprochent, nous poussent dans le dos.
Ceux de Calonne, ceux du Bois-haut, ceux des ravins, tous les canons des Hauts se rapprochent, les mortiers, les obusiers, les 75, les 120, les 155, les pièces de marine, toute la meute
se rapproche et hurle, toute la ligne douce des collines ne peut plus être aussi loin qu'elle était, avance jusqu'au village, le déborde et nous pousse brutalement. C'est inouï, cette brutalité.
Le Montgirmont devient fou, crache ses obus par-dessus nos têtes, nous courbe sous un vol de grandes faux, sifflant, volontaire et bestial."
"On devine des obus très lourds qui s'écrasent vers le piton, des vols chuintants de 155, des tournoiements patauds de minen; mais cela ne compte
pas; cela se perd dans les jets raides des 75, disparaît derrière cette voûte tranchante et dure, qui s'abaisse, qui se bande, si violemment tendue qu'elle va se briser tout à coup, crouler
sur nous et nous anéantir. Elle est toujours là; nous ne pouvons que baisser la tête si nous pouvons, plus de poitrine, plus de ventre, n'être plus qu'un dos et des épaules recroquevillés."
1-Montgirmont : colline située à proximité des Eparges Maurice Genevoix "Ceux de 14"