Renée Haudebourg

L'occupation (suite). Mme Lavie
M. et Mme Lavie étaient installés à Monnaie, rue de la gare, depuis longtemps. Ils participaient activement à la vie du village. Mme Lavie était pianiste
et avec M.Lavie, également musicien, avaient tous deux, enseigné la musique à Roger Margenseau, qui a du leur écrire au cours de ses premières années de captivité.
Mme Lavie, alors âgée de 52 ans s'engagea sans doute assez vite dans la Résistance, dans le réseau Bourgeois Roger. Nous ne savons que très peu de choses sur ce réseau.
Il est possible que Mme Lavie,
qui parlait anglais ait aidé à faire passer la ligne de démarcation à un "parachutiste", comme on disait à l'époque c'est à dire à un aviateur abattu.
Elle est arrêtée le 16 décembre 1943, avec le chef d'inculpation "d'intelligence avec l'ennemi".
Dès lors, la machine répressive allemande se met en marche. Elle fut sans doute "interrogée" à la Gestapo de Tours (17, rue Georges Sand), détenue à la prison,
rue Henri Martin à Tours, puis transférée à Fresnes ou une autre prison parisienne, comme c'était très souvent le cas.
De Fresnes (peut-être), il est certain qu'elle fut amenée à Compiègne en janvier 1944.
Courant janvier, les Allemands décident d'organiser un "transport" vers Ravensbrück, camp privilégié pour détenir les prisonnières politiques.
Le 31 janvier 1944, Mme Lavie fera partie de ce convoi vers l'Indicible.
Ce convoi est connu comme celui des "27000", c'est à dire comportant les femmes immmatriculées de 27030 à 27988 à Ravensbrück. Mme Lavie porte le n° 27901.
( ce qui signifie, d'après la seule liste disponible en 4 parties, qu'elle a du arriver peu avant le départ de Compiègne). Ce convoi est composé quasi exclusivement de
résistantes de tous les réseaux (Buckmaster, Marco Polo etc), arrêtées pour la plupart fin 1943.
Les conditions, dans lesquelles voyagent ces femmes, sont horribles. On peut s'en faire une idée en lisant ce récit écrit par une rescapée.
Récit du transport vers Ravensbrück par une rescapée des "27000"
"Lorsque nous fûmes rassemblées dans la cour du camp de Compiègne, en attente de départ, les hommes lancèrent par-dessus les "planches" le plus de victuailles qu'ils le purent. Nous étions prêtes avec nos valises, mais le Sonderführer nous dit de n'emporter que le strict nécessaire et de déposer nos valises au fond de la cour pour qu'elles soient renvoyées à nos familles. "Vous n'aurez pas besoin de ces effets, dit-il, puique là-bas, on vous assure les vêtements, le logement et la nourriture." Nous en fûmes stupéfaites, mais nous dûmes nous exécuter. Notre long convoi s'achemina jusqu'à l'entrée principale du camp. On nous fit monter dans des camions bâchés qui nous emmenèrent au point d'embarquememnt. C'est dans ces camions que nous eûmes vraiment le sentiment d'être arrachées à la France. Celles qui avaient un crayon et un papier en leur possession écrivirent vite quelques mots et jetèrent leur message le long du parcours. Je vis un gamin ramasser ma missive et prendre ses jambes à son cou en la serrant sur son coeur. Cette lettre est parvenue à destination. Je l'ai retrouvée chez ma soeur à mon retour.
A l'embarquement, on nous distribua une boule de pain et un morceau de saucisson et, au fur et à mesure, nous montions dans les wagons à bestiaux où l'on avait mis un peu de paille. Nous y fûmes entassées à cinquante environ. L'attente dura plusieurs heures, puis on boucla les wagons et le train s'ébranla vers l'inconnu.
Après de longues heures de voyage, les besoins naturels se font sentir. Comment faire? L'une d'entre nous possède une boîte de conserve vide: elle l'a met à la disposition de la collectivité. Si l'utiliser est déjà difficile, il l'est plus encore de la vider par la petite lucarne du wagon à bestiaux. La moitié du contenu se renverse dans le wagon, l'empuantant de plus en plus. Et ce sytème devra durer trois jours. L'air du wagon devient nauséabond. Le deuxième jour, nous faisons une halte à Trèves, où l'on déplombe les wagons dans une gare de triage ; cris des Allemands; raus ! schnell ! Schweinerei ! La lumière nous éblouit, il fait un un soleil replendissant, le froid est intense. Nous sommes gardés devant les wagons par des SS munis de mitraillettes et l'on nous fait comprendre que nous pouvons nous "soulager" dans les tranchées fraîchememnt ouvertes le long de la voie, tandis qu'en même temps on nous remet de la soupe dans un gobelet en carton. Nous avons dix minutes pour réaliser les deux opérations si bien que lorsque l'on nous intime l'ordre de remonter dans les wagons les unes n'ont pas eu le temps de se soulager, les autres n'ont pas réussi à manger leur soupe qui se renverse lorqu'elles remontent dans le train.
Il y a une nouvelle halte à Berlin; on ne nous fait pas descendre. Nous pouvons contempler cependant à tour de rôle à travers la lucarne les destructions de la ville. Au milieu de la nuit, nous nous arrêtons pour la troisième fois. On déplombe les wagons et sous l'aboiement des chiens, les vociférations des SS nous descendons sur le quai de la petite gare qui dessert Ravensbrück.."
Il s'agir d'un récit publié dans l'ouvrage collectif "les Françaises à Ravensbrück" conçu et édité par l'Amicale de Ravensbrück (1965)